Une pièce de théâtre en cinq actes
ACTE 1 - Une précieuse ridicule
"Quoi, c'est donc là ce tapis merveilleux dont vous nous dites, mon
Prince, qu'il peut voler. Il ressemble plus à je ne sais quel
paillasson pour chien devant une porte d'entrée qu'à un tapis volant.
Vous moquez vous, mon cher?"
"Non, pas du tout, ma douce, ma très chère, pas du tout. Je l'ai
acheté très cher à un Mage de Bagdad qui m'a assuré qu'il volait fort
bien. Une pièce rare qui m'a couté une fortune. Mais que ne ferais-je
pas pour vous faire plaisir. Vous savez combien je vous aime".
"Est-ce moi que vous aimez tant, ou bien mes histoires dont vous ne
pouvez vous passer, le soir, alors que votre tendre épouse dévouée
aimerait bien autre chose de son époux."
"Oui, je sais, je suis devenu impotent avec l'âge, mais votre présence
me comble de bonheur. Ne vous ai-je pas en plus offert Ali, pour me
remplacer, là ou je ne puis plus vous satisfaire. Tiens justement le
voilà, ce fourbe, cette canaille qui vous plait tant."
" Bonjour mon Prince et ma Maitresse, quelle belle journée, vous ne
trouvez pas?"
"Justement mon cher Ali, nous parlions de toi. Le Prince vient de
m'offrir ce cadeau inestimable, ce tapis que vous voyez ici, et dont
on m'assure qu'il peut voler. Allons, partons l'essayer tout de suite.
Allons raser les minarets de Bagdad et faire taire ce muezzine qui
nous rompt les oreilles depuis ce matin avec son appel à je ne sais
quelle prière.
"Vous ne devriez pas parler ainsi ma Princesse, et puis tout compte
fait, ce tapis ne me rassure pas du tout. Je crois que je devrais
aller ratisser vos jardins".
"Vous saviez bien que mes ordres ne se discutent pas. Allons asseyez
vous et taisez vous.
bisous, mon Prince, et à ce soir. Je vous raconterais notre voyage."
"Ma maitresse est folle! Mais elle est si belle. Où veut elle donc
m'emmener cette fois. Espérons que nous n'allons pas nous fracasser
sur le Bazar endormi".
"Comment faire décoller cette paillasse dont aucun chien ne voudrait.
Tenez vous bien mon cher Ali. A mes hanches, pas à mes seins, pauvre
idiot! On ne sait jamais, des fois que nous finissions dans les eaux
froides du Tigre. Bon, si je me souviens, ce tapis devrait obéir à ma
pensée. Voyons, voyons, où aller pour ce premier voyage. Les montagnes
d'Iran...oui, cela me semble bien. Peut être surprendrons nous quelque
sage à qui nous pourrions demander notre route?"
"Mince, damnation, voici bien que nous montons dans les airs ! Aucun
filet, aucune rembarde, je suis déjà mort de trouille. Et avec les
longs cheveux de Sheherazade qui volent en tout sens, je n'y vois rien."
"Pouvez vous vous taire un instant, et cesser de me serrer les hanches
si fort, vous me déconcentrez. Voilà, ce tapis magique fait exactement
ce que je veux. Il va bien là où mon esprit le désire. Accrochez vous,
mon tendre Ali, il est temps d'accélérer si nous voulons être rentrés
pour ce soir. "
" Oui, c'est vraiment extraordinaire ! nous dominons le monde !"
" Il est dit dans les livres sacrés des Indes que pour atteindre la
sagesse il faut que notre esprit soit comme l'aigle et qu'il puisse
voler au dessus des cimes majestueuses de l'Himalaya."
"Maitresse, ma douce princesse, si nous faisions une pose. Voyez vous
ce petit village là bas, sur la droite, nous pourrions nous arrêter et
nous sustenter un peu. Nous avons déjà fait un si long chemin."
"Oui, bonne idée, à force d'être assise sur ce tapis magique,
j'éprouve le besoin de me dégourdir les jambes. Mais restons des
visiteurs discrets et demandons aussi notre route. Voilà, je vais me
poser un peu à l'écart. Nous ferons le reste à pieds."
"C'est vraiment magnifique par ici, les campagnes semblent bien
entretenues, avec plein de petits canaux d'irrigation. Vous avez vu
comme ces peupliers et ces abricotiers sont vigoureux. Les hommes
doivent être sages et paisibles par ici."
"Oui, j'adore cet endroit. L'air est si pur."
"Bonjour, pourrions nous boire un café dans votre échoppe?"
"Non, mes braves visiteurs, mais un bol de soupe chaude avec du pain,
cela oui. D'où venez vous donc. je ne vous ai jamais vu par ici."
"Nous venons du pays où tous les rêves sont permis"
"Vers quelles aventures veut encore nous conduire la si belle et douce
Sheherazade, la femme aux fines chevilles, aux pieds toujours dansants?
Devons nous la suivre sans crainte? Les dieux lui ont donné ce gout
des voyages, mais elle n'est pas messagère, elle n'est investie
d'aucune mission. Ce n'est qu'une libertine, une libertaire, une femme
en fragmentions, toujours prête à tout remettre en questions."
"Suivons la gaiement. Elle n'a point de flute dans sa poche. Ce n'est
point une marchande d'illusions".
"Mais voici déjà des voix remplies de haine qui montent en puissance.
Ce n'était que murmures au début, mais à présent elles grondent,
terribles."
"Laisserons nous cette garce, cette petite femme intrépide s'immiscer
dans notre monde? Nous ne la voulons point. Elle ne cherche que
l'aventure. Il nous faut lui faire très peur pour qu'elle s'en aille
et ne revienne jamais."
"Voici une intruse, une chienne lubrique, une dévergondée, une
insoumise. Elle n'obéit à personne. La laisserons nous découvrir tous
nos secrets? Il nous faut lui tendre un piège dont elle ne puisse se
défaire. Fabriquons une de nos maléfices pour la retenir prisonnière,
elle et son amant, dans ce monde ou elle n'aurait jamais du venir."
"Non, Ali, ne reprenez pas encore de cette soupe si délicieuse, il est
temps de partir. Et puis cessez donc de regarder les jolies filles de
ce village. On dirait un mort de faim."
"Que voulez vous Maitresse, ici, elles ne portent pas le voile, leurs
jambes sont nues, et leurs bottes de cuir avec toutes ces pierres et
ces cordons de couleur sont très érotiques. Vous avez vu combien leurs
petits chapeaux sont amusants. Et leurs yeux, leurs sourires. Elles sont
saines et fort gaies, ma foi. Oui, j'avoue elles me plaisent beaucoup
ces filles."
"Elles sont vraiment adorables, mais partons, je vous prie. Payez au
Marchand son du et partons, je suis toute excitée par ces voyages.
Vous avez toujours le tapis, j'espère. Veillez bien sur lui, il est
notre bien le plus précieux."
"Oh, pas de risques qu'on me le vole, surtout ici, les gens ne
semblent attacher aucune importance à l'argent, au fait de posséder ou
d'accumuler des choses. Leur richesse c'est bien le bonheur qu'ils
portent sur eux.
Combien vous devons nous, mon brave marchand pour cette délicieuse soupe?
Ma maitresse veut que nous partions. Moi je resterais bien pour finir
toute la marmite, mais il me faut la suivre."
"Mais vous ne me devez rien rien voyons. Ici nous n'avons pas de
monnaie. Nous nous rendons des services suivant nos besoins. Moi je
préfère rester aux fourneaux. J'adore la cuisine. Les paysans
m'apportent leurs produits et je leur fait de bons repas. Ici, tout
est à tout le monde."
"Même les femmes?"
"Pourriez vous vous taire un peu, vous allez les gêner avec vos idées
bien polissonnes. "
"Pas du tout, votre serviteur ne me gène en rien. Il aime la vie et
les belles femmes, cela se voit dans ses yeux. mais je lis aussi qu'il
n'a d'amour que pour vous. Il ne vous aime pas, il vous adore comme si
vous étiez une déesse."
"Oui, je sais, il est collant parfois"
"Bon, me voilà installé, maitresse. Venez donc vous caler entre mes
genoux et partons puisque vous y tenez tant."
"Voilà, nous montons déjà. Il me semble que je contrôle désormais
aussi bien ce tapis, que ce membre imposant que vous avez entre les
jambes et qui m'obéit à volonté depuis longtemps déjà.
Bien, voilà la montagne dont nous a parlé le marchand, là, sur la
droite."
"Oui, je vois bien un petit lac cristallin, aux eaux si pures que l'on
voit d'ici les éclats d'argent des poissons. Et plus haut dans la
falaise, la fameuse grotte dont il nous a été dit qu'elle abritait un
vieux sage, un anachorète coupé du monde et de ses horreurs. Vous la
voyez , ma douce Maitresse. Puis je vous embrasser la nuque sans vous
déconcentrer?"
"Oui, nous y sommes. Je vais me poser devant l'entrée.
Ohé, olla, il y a quelqu'un par ici?"
"Quoi encore! Merde ! Encore une greluche et son bellâtre qui viennent
me déranger.
Vous ne pourriez pas aller à Lassa, au Vatican ou à La Mecque vous
faire cuire un œuf?
Je tiens à mon silence. Allez au diable les grenouilles en mal de
spiritualité."
"Veux tu donc te taire, vieux fou. Tu t'adresse à une Princesse de
haut rang à Bagdad et son époux pourrait te faire couper la tête pour
insolences."
"Essaie donc, fripouille, suborneur de jolies femmes, stupide amant
esclave de son sexe et qui n'a que sa semence à répandre devant les
yeux."
"Laissez donc là cette querelle qui me déplait au plus haut point. Je
ne suis point venue pour voir des coquelets s'affronter. Votre sagesse
vieil homme n'est elle donc qu'insultes jetées au vent?"
"Il n'est point de sagesse en ce monde. Partout ce n'est que mensonges
et hypocrisies. C'est bien pour cela que je préfère la compagnie des
aigles et des chocards à celle des hommes. Oui, vous m'importunez,
vous la greluche pomponnée, toujours prête à écarter les cuisses
devant votre amant que vous avez choisi stupide à souhait mais monté
comme un âne. Vous n'êtes qu'un puit de débauches à vous toute seule."
"Olla, du calme, vieil homme ou je te rosse sur le champ."
"Laissez donc Ali, je vous est déjà dit d'abandonner toute colère.
Laissons ce vieux sage parler. N'a t'il pas raison? N'existe t'il pas
un proverbe persan qui dit que s'il faut dire la vérité, mieux vaut
acheter d'abord un bon cheval?"
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ACTE 2 - Ormuz
"Ah Maitresse, pourquoi donc m'avez vous demandé de vous faire l'amour
sur ces fortes vagues. Voilà qu'occupé à autre chose qu'aux gouvernes,
une forte lame a brisé notre petite felouque, et nous voici naufragés,
ballotés en tout sens."
"De quoi vous plaignez vous, mon brave Ali. Ne sommes nous pas bien
sur ce radeau fait avec les planches du pont lorsqu'il s'est brisé?
Allons, n'ayez pas peur, vous savez qu'une bonne étoile me protège. Il
plait peut être aux Dieux de nous indiquer une autre direction."
"Je déteste que vous parliez des Dieux. Vous n'êtes qu'une païenne et
moi je n'ai qu'un seul Dieu: Allah, l'unique, le Grand, le
miséricordieux. Je déteste vous entendre blasphémer, mais voilà, je
suis votre esclave.
"Allons, mon brave Ali, vous n'êtes esclave que du bonheur que vous
avez d'être avec moi et que des plaisirs fous que vous prenez entre
mes cuisses. Mon époux n'est pas. Il ne peut donc vous faire couper
la tête si vous m'abandonniez."
"Oui, si au paradis on me demandait de choisir entre les 72 vierges et
l'enfer avec vous, je crois bien que je préfèrerais encore l'enfer.
Vous me rendez fou."
"Allons cessez de me casser les oreilles avec vos plaintes, mon brave.
N'est ce pas la terre que l'on voit là bas? Un courant ne nous mène
t'il pas vers elle? Vous voyez bien, les Dieux ont voulu que nous
allions vers ce rivage. Laissons les nous guider."
"Oui, c'est bien un promontoire de roches que je vois. Espérons
qu'après le naufrage nous ne nous brisions pas contre elles. Espérons
que nous ne servirons pas non plus de pâture à ces squales qui nous
tournent autour depuis un moment."
"Laissez les donc faire, mon tendre. Ce n'est pas tous les jours
qu'ils peuvent voir de si près une princesse de Bagdad, la cité aux
coupoles d'or. Vous lamenter sur un sort funeste ne sert jamais à rien.
Cette vie n'est pour moi que jeu et illusions.
J'adore ce naufrage qui nous mène là ou nous ne pensions
aller. Il n'en sortira que du bon, vous verrez."
"Puisse Allah le grand vous entendre."
"Quoi, cette chienne lubrique s'en sort encore. Elle me nargue même.
J'enrage! Je la maudis! La lame que j'ai déchainée contre elle ne l'a
pas engloutie à jamais. Prend garde, sale garce ! Mon prochain
maléfice te sera fatal! "
"Voici que le monde craque de toutes parts. Combien nos cœurs s'en
réjouissent. Puisse un tsunami géant faire disparaître cette ancienne
terre et la laver de ses pêcher. Regardez donc, cette femme adultère
sur son radeau. Elle trouve le moyen de sourire encore et de se moquer
de nous."
il faudrait les séparer sur la scène, pour faire le contraste des
coeurs entre forces positives et forces maléfiques
" Soufflons sur ce monde impur notre rage et toute notre haine.
Soufflons sur ces hommes maudits qui ne sont que mensonges,
hypocrisie, prévarication, adultères. Que pas un seul n'en réchappe.
Envoyons les tous dans le Chéol, là ou les souffrances sont
éternelles!"
noir
"Laisserons nous la belle Sheherazade aux mains des forces maléfiques
qui pullulent en ce monde? N'interviendrons nous donc pas? Les dieux
ont livré ce monde au mal pour un temps. Il faut la laisser nous
implorer. Ce sont les ordres. Nous ne pouvons intervenir que sur des
prières ou des appels au secours. Laissons la donc se débrouiller
seule, avec son valeureux Ali, toujours prêt à la suivre. Mais
observons avec vigilance. Notre sublime petite princesse de Bagdad ne
manque pas d'armes pour se sortir des mauvais pas."
"Voilà, nous touchons terre mon tendre Ali. Quelle plage magnifique,
vous ne trouvez pas?"
"Maitresse, comment pouvez vous trouver le coeur à rire? Nous ne
savons pas ou nous sommes. Nous n'avons ni eau, ni nourriture, ni rien
même, sauf ces planches. Et puis, encore heureux que les requins n'ont
fait que vous devorer que des yeux."
"Et bien oui, nous sommes des survivants! Et Alors? N'est-ce donc pas
la preuve que les Dieux nous protègent?"
"Oui, vous avez raison, s'il faut mourir de soif ou de faim dans le
terrible désert de Gédrosie, que ce soit au moins avec le sourire."
"Ils me narguent, ils me narguent, ces enflures, ces moins que rien,
ces fornicateurs. Qu'ils aillent donc baiser dans ce désert terrible,
je les attend."
"Est-ce une hallucination ou il m'a semblé entendre une voix? Déjà les
djinns ou les sorcières du désert? Vous avez entendu, maitresse?"
"Oui, j'ai entendu cette voix. On aurait dit une vieille folle. Il me
semblait qu'elle voulait t'éplucher la verge comme la peau sèche d'un
serpent, ou quelque chose de ce genre. Ce serait dommage, une si belle
verge."
"Je préfère retourner affronter les squales affamés sur les flots
démontés que de risquer de perdre cet attribut divin."
"Oui, mais vous y trouveriez un avantage, celui d'une vie vertueuse
qui vous ferait gagner les 72 vierges promises dans votre paradis".
"Ne vous moquez pas maitresse, le désert est chose terrible sans eau.
Et nous savons même pas dans quelle direction aller. Ne devrions nous
pas demander un signe à Allah le Grand, pour nous protèger et nous
guider?"
"Faites donc, mon brave, si cela peut vous apporter quelque réconfort.
Mais je propose que nous cherchions d'abord de quoi manger. Sur cette
plage ou ces rochers, nous devrions trouver. Regardez, un crabe, là!"
"Vous voyez bien, c'est Allah qui nous l'envoie. Et là, un autre, gros
et gras à souhaits. Il me reste mon briquet. Avec ces quelques
planches je peux vous préparer un festin de reine."
"Oui, cela me convient, et ensuite nous ferons l'amour sous les
étoiles. Autant profiter de cette vie que les Dieux nous donnent. Et moi
de votre verge avant qu'elle ne dessèche."
"Pourrons nous tolérer encore longtemps ce couple qui se rie ainsi des
signes que nous envoyons. N'amenderont-ils jamais leur conduite. Ils
nous faut les engloutir et les obliger à nous servir. Ne sont-ils pas
un outrage à la morale?"
"Vous entendez Maitresse, on dirait l'orage au loin"
"Voici que le voile se déchire. N'ont-ils pas compris le secret des
masques?"
"Ces crabes étaient délicieux, mon tendre Ali, je vous en remercie. Et
si nous partions dès à présent dans ce désert de Gédrosie que l'on dit
si terrible. Si nous profitions de la nuit et de sa fraicheur pour
marcher. Nous dormirons le jour, là ou nous trouverons quelque ombre
pour nous protéger du soleil et de ses ardeurs."
"Oui, je trouve que c'est une bonne idée, mais suivons la cote. Au
moins nous trouverons toujours de quoi nous sustenter et nous ne
risquons pas de nous égarer. Allez, partons maitresse. Le soleil est
bas désormais, l'air est moins brulant."
"Ah que n'ont-ils péris avec leur insolence en traversant les flots
houleux !"
"Notre petite maitresse nous manque tant! Voilà des mois qu'elle est
partie avec son fidèle Ali. Depuis, plus aucune nouvelles. Son époux
le Prince se meurt de chagrin. Il passe ses journées dans un profond
abattement, prostré. Les petites histoires de son épouse comblaient
ses nuits. Il n'en dort plus. Nous devrions partir nous aussi
explorer le monde, à sa recherche. Qui sait, peut être vit elle
encore, pirate sur une île, esclave dans un harem, vendeuse d'opium en
chine, chasseuse d'ours en Sibérie. Partons sans tarder, il n'est de
lieu ou nous ne pourrions la trouver."
"croa, croa, que nous sommes tristes. Notre chamante petite maitresse
n'est plus. Croa, crao, qui d'autre pour la remplacer? plus personne
hélas pour venir nous causer pendant des heures sous la lune. Faisons
passer le message jusqu'aux grenouilles de Bashrah. Qui sait peut être
l'une d'elles l'a apperçue. Croa, croa, croa".
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ACTE 3 - Le désert de Gédrosie
"Regardez là bas, dans les roches ocres, dans les brouillards de
chaleur, ne serait-ce pas un couple qui avance en titubant?
Il nous a donc fallu venir jusqu'ici, dans cet enfer, dans ce four.
Pourvu que nous ne finissions pas en brochettes.
Mais allons, courage, allons voir."
"Piouip, piouip, piouip..."
"Je suis désséchée, je me meurs. Depuis plus de 40 jours, nous errons
dans ce désert terrible. Ma langue est en feu. Je suis en proie aux
visions."
"Moi aussi, ma douce princesse, je suis en proie aux vertiges et aux
hallucinations. Je vois des Anges, des Démons, des djinns, des
apparitions partout. Je marche dans un état de rêve permanent. Allons
nous mourir ma douce? sommes nous déjà morts?".
"Au jeu des masques ils ont voulu jouer. Mais la vie elle même n'est
elle pas un jeux de masques: hypocrisie, mensonges, duperies,
lâchetés, faux semblant, ...
Voici que le terrible désert de Gédrosie purifie leurs âmes et les
trempe sous le feu. Oui, ils vont vivre. Les oiseaux sont déjà là."
"Ne faut-il pas aimer les animaux. ils le rendent sans compter, sans
jamais la moindre arrière pensée. Leur amour lorsqu'ils le donnent aux
hommes est toujours sincère. Voici que notre petite princesse prenait
soin des oiseaux de son jardin. Voici que ces mêmes oiseaux, en mal
d'amour, viennent à son secours. Ne faut il pas donner de l'amour,
encore et toujours, partout et à tous?"
"Allez au diable maudites volailles. Voici que je déchaine contre vous
le vent des sables amers. Faites nous donc rire. Voyons comment vous
survivrez à cela."
"Nous n'y voyons plus rien. Ce vent me griffe le bec et les ailes. Il
faut nous mettre à l'abri. Impossible de voler."
"Ali, mon brave et valeureux Ali, je sens que je meurs."
"Mais non, mais non, ma douce maitresse, cela fait quarante jours que
nous devrions déjà être morts. Alors nous tiendrons encore et encore dans ce
désert de Gédrosie. Mon cœur brule désormais. Allah le Grand m'a
imposé cette épreuve avec vous. Mon cœur brule et je sens que suis
proche de l'illumination."
"Je préfèrerais que vous soyez près d'une belle source d'eau fraiche,
avec une grande vasque ou je pourrais enfin prendre un bain."
"Douce Maitresse, j'ai peur. Voici que je suis sur un chemin avec une
foule immense. Au bout une bifurcation et un Ange au regard blanc au
milieu. Il envoie tout le monde ou presque à gauche. Très, très peu
prennent le chemin de droite. ils se comptent sur les doigts de la
main. Que dois je donc faire, c'est bientôt mon tour."
"Dis lui ton nom !
Lorsque tu affronteras son regard blanc, dis lui simplement, je suis
Ali et vous me connaissez. Alors tu prendra le chemin de droite."
"Maitresse, désolé de vous quitter. Je sens que je meurs."
"Ne dis donc pas de bêtises mon brave et valeureux compagnon. Voici
que j'ai vu Le Messie. Il est celui de tous les hommes. Il m'a donné à
boire de l'eau qui étanche toutes les soifs. regarde, je danse encore
sur ces pierres brulantes. Allons redresse toi. Voici qu'en son nom,
je te donne à boire de cette eau. Lèves toi donc, et reprenons notre
route."
"Voici notre maitresse bien aimée. C'est elle qui danse. C'est elle
qui à vaincu le terrible désert de Gédrosie".
"Voici que nos héros, oui, ils le sont bien, vont sortir du désert
avec des âmes purifiées. Est ce un bien? N'est ce pas les projeter au
contraire vers des aventures plus terribles encore? Désormais, ils
savent voir les démons."
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Acte 4 - Téhéran
"Vous avez vu, mon cher Ali, toute cette foule qui se presse pour vous
voir. Ils vous acclament. Mais qui êtes vous donc devenu à leurs
yeux?"
"Oui, mais regardez bien, ce ne sont que des humains possédés par les
démons. A présent nous les voyons. Je n'aurais jamais cru que cela
puisse exister. Dans quel monde vivions nous avant cette aventure dans
le terrible désert de Gédrosie?"
"Moi aussi, je ne savais pas que ce monde était en état de possession
à ce point. Nous avons vécu dans les illusions. Mais regardez comme
ils vous acclament. Ils jettent des fleurs ou des branches de palmes à
notre passage. Êtes vous devenu une sorte de Roi pour eux?"
"Je n'en sait rien, et je me demande ce qui nous attend à Téhéran, ou
les mollahs et les puissants tiennent tant à nous recevoir."
"mon cher et tendre Ali, je me demande si je ne préférais pas la vie
d'avant, l'époque ou nous aussi nous étions la proie des démons. Leur
joug est-il si pénible? Non, c'est même agréable les démons."
" oui, je me souviens aussi et je ne regrette rien de cette vie
passée. Ici la foule m'acclame, mais même si les cœurs semblent plus
purs qu'ailleurs dans ce pays, je me demande si ce n'est pas les
démons qui m'acclament. Ne nous ont-ils pas tendu un piège? Que leur
importe même que nous puissions les voir. regardez comme ils nous
narguent."
"êtes vous Celui que nous attentions. Venez donc présider à notre
prière."
" Je ne vois ici que de bons musulmans. Que n'importe lequel d'entre
vous préside, et je prierai avec vous."
"Il est bien celui que nous attendions"
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Acte 5 - Freuda
"Je suis enfin rentrée. Ali est resté à Téhéran, aux pays des mollahs,
mais moi, il me plait de retrouver mon époux, le Prince, mes jardins,
mes oiseaux et mes charmantes grenouilles près du bassin. Voyons,
voyons, sont-elles toujours là ? Bizarre, personne, pas un croa. Mais
ou sont elles passées? Ohé, holla, Accourez servantes fidèles. Ou sont
passées mes grenouilles ?"
"Nous ne savons pas maitresse, cela fait des jours et des jours que
nous ne les entendons plus. Quelque maladie les a peut être frappées.
Pourtant nous avons souvent nettoyé leurs bassins."
"Croa, croa, où êtes vous donc mes douces, mes mignonnes?"
"Croa... ah c'est vous maitresse, excusez, je suis en retard. il faut
vite que je saute de nénufar en nénufar, je suis en grand retard."
"mais où veux tu donc aller? Les bassins ne sont ils pas assez
agréables?"
"si, si maitresse, ils sont superbes, mais je ne veux pas manquer les
cours de Freuda, la grenouille savante."
"suivons cette grenouille si pressée, discrètement, ne nous faisons
pas remarquer. Je trouve fort amusant que mes grenouilles veulent
toutes devenir savantes. Mais pourquoi saute-elle donc si vite?. A voilà, elles
sont toutes là, dans le petit bassin du fond, sagement assises sur de
beaux nénufars. Tiens là au milieu, une grenouille semble croasser. ce
doit être Freuda. Dissimulons nous derrière ces joncs et écoutons là
nous aussi, sans les déranger en rien."
" ....vous êtes mes amies. A vous je peux parler librement. Vous
entendez ma voix. Mes paroles sont douces. Ne sont elles pas comme une
eau limpide. Mais ne soyez pas des grenouilles lotophages...."
"croa, croa"
"Ma foi, je trouve cela fort intéressant. Cette Freuda semble être une
grenouille philosophe. Il me plait de l'entendre."
"Qu'est donc ce loto, cette brume qui endort vos esprits? N'est ce pas
les illusions de vos petites vies, dans un petit bassin entouré de
hauts murs, bien protégé. Ici vous ne craignez aucun prédateur, votre
nourriture est facile à trouver et vos vies sont agréables. N'est ce
pas là une forme de loto, cette drogue qui endort vos âmes?"
"Il me semble que ces mots s'adressent à moi. Mais n'a t'elle pas un
peu raison? Moi j'étouffe vite lorsque je reste trop longtemps dans ce
palais."
"le loto est le piège dont il est le plus difficile de sortir, celui
des illusions qui endorment. Si vous venez toutes m'écouter, n'est ce
pas parce que vous vous rendez compte que votre vie vaut bien mieux
que cela. Les dieux vous ont fait grenouilles dans cette vie. Mais
qu'en sera t'il après? Si vous avez mangé du loto, il vous en sera
demandé compte. Ne cédez donc pas aux illusions du monde."
"Me parle t'elle encore? Cette Freuda me touche, mais laissons ces
grenouilles causer. Je ne voudrais pas les déranger par ma présence
inopportune. Je reviendrai voir Freuda seule pour m'entretenir avec
elle."
"Quelle belle journée ! Voici que je m'éveille doucement sous les
rayons du soleil. Combien cette vie est belle. Tiens voilà notre chère
princesse."
"Bonjour Freuda, tu as bien dormi sur ton nénufar? Ce doit être bien
confortable ce lit sur un matelas d'eau tiède et limpide."
"Oui, je dors très bien ici et je rêve beaucoup.Que me vaut le plaisir
de votre visite?"
"Hé bien je t'ai un peu écouté hier soir et j'aimerais m'entretenir
avec toi."
"Oui, je veux bien, mais je suis docteur Freuda maintenant. Hier ce
n'était qu'une conférence publique, mais mes consultations sont
payantes, même pour vous Princesse. Il parait que je suis très chère."
"Oui, je comprend, cela me semble fort juste. Quel est donc le tarif
de tes honoraires?"
"3 mouches vertes des marais ou bien une libellule fort grasse."
"C'est fort raisonnable, mais je ne suis pas chasseuse de mouches.
N'existe t'il pas un autre moyen de paiement? Par exemple, je pourrais
t'offrir un autre nénufar plus spacieux et des fleurs de lotus."
"oui, cela ira. Bien allongez vous sur cette herbe tendre, là sous cet
arbre. Voilà, je viens près de vous. Êtes vous bien installée? Oui,
parfait alors. Dites moi tout. Laissez vous aller. Laissez les mots
venir."
"hé bien, voilà, depuis mon retour du désert de Gédrosie, et ce mal a
frappé Ali, mon cher Ali aussi. Nous voyons des démons à l'intérieur
de toutes les personnes que nous rencontrons. Même mon époux, le
prince généreux et aimant, je le prenais pour presque un saint tant il
était doux et prévenant envers moi. Il est lui aussi infesté de
démons! Je n'y comprend plus rien. Si je regarde bien, il est vrai que
mon époux est un tyran sur Bagdad, la ville aux coupoles d'or. Peut
être compense t'il son impotence au lit par des excès de cruauté. Je
n'en sais rien. Je ne m'occupe pas de ses affaires et encore moins de
politique. Ce n'est pas mon rôle. Mais force est de constater que plus
je rencontre des hommes importants dans cette pyramide du pouvoir où
mon époux est tout en haut et plus je vois de démons en eux. C'est
finalement au Bazar, chez les petites gens, les malheureux que j'en
vois le moins. Pouvez vous m'expliquer cela?
"Voyez vous des démons en moi aussi?"
"Non, je n'en vois aucun. Existe t'il des démons chez les grenouilles
aussi?"
"oui, ils sont partout car ils n'ont pas de corps physique, mais
peuvent en usurper autant qu'ils veulent. Continuez, continuez ma
douce princesse, ..."
" Je préférais avant, lorsque je vivais dans un monde plus simple, où
je ne voyais pas les démons. J'étais plus sotte peut être, mais bien
plus heureuse. Voyez vous des entités maléfiques en moi, docteur ?"
"Oui, vous êtes infestée, bien plus que vous croyez et même bien plus
que vous ne pouvez imaginer."
"hé bien, moi qui me croyait propre et pure, innocente, juste un peu
trop aimante. Vous me faites peur."
"Pour combattre les démons ne faut-il pas d'abord apprendre à les
connaitre. Vous les voyez chez les autres et pas chez vous. Savez vous
pourquoi?"
"Non, je l'ignore."
"Bien, bien, ce sera tout pour aujourd'hui, il ne faut pas trop en
faire. Vous êtes un cas intéressant princesse. Je suis heureuse
d'avoir une patiente aussi illustre."
"Et moi, je me sens en de bonnes mains, docteur Freuda."
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(C) Ivano Ghirardini septembre 2008