Paul VERLAINE (1844-1896)Fauve avec des tons d'écarlate,Une aurore de fin d'étéTempétueusement éclateA l'horizon ensanglanté.La nuit rêveuse, bleue et bonnePâlit, scintille et fond dans l'air,Et l'ouest dans l'ombre qui frissonneSe teinte au bord de rose clair.La plaine brille au loin et fume.Un oblique rayon venuDu soleil surgissant allumeLe fleuve comme un sabre nu.Le bruit des choses réveilléesSe marie aux brouillards légersQue les herbes et les feuilléesOnt subitement dégagés.L'aspect vague du paysageS'accentue et change à foison.La silhouette d'un villageParaît. - Parfois une maisonIllumine sa vitre et lanceUn grand éclair qui va chercherL'ombre du bois plein de silence.Çà et là se dresse un clocher.Cependant, la lumière accrueFrappe dans les sillons les socsEt voici que claire, bourrue,Despotique, la voix des coqsProclamant l'heure froide et griseDu pain mangé sans faim, des yeuxFrottés que flagelle la biseEt du grincement des moyeux,Fait sortir des toits la fumée,Aboyer les chiens en fureur,Et par la pente accoutumée,Descendre le lourd laboureur,Tandis qu'un chœur de cloches duresDans le grandissement du jourMonte, aubade franche d'injures,A l'adresse du Dieu d'amour !--------------------------------Bonjour, bonjour mes si extraordinaires Ami(e)sJ'ai laissé la place aux poètes ce matin,aux Angélus, aux mots si justes, si fins.Oui, faisons comme si nous étions déjà au Paradis!Ivano--------------------------------
Un poème de Giacomo Leopardi
Le genêt, ou la fleur du désert.
Et les hommes ont chéri la nuit plus que le jour.
Saint Jean, III, 19.
Ici, sur la croupe sèche
Du mont redoutable,
Le Vésuve exterminateur,
Que n'égaie aucune autre plante, aucune autre fleur,
Tu disperses tes touffes solitaires;
Genêt parfumé,
Que contentent les déserts. Je te vis aussi
Embellir de tes tiges les zones nues
Qui entourent la ville
Autrefois reine des mortels
Et de cette gloire perdue
Ils semblent, par leur grave et leur muet aspect,
Les ultimes témoins pour quelques promeneurs.
Je te revois sur ce sol, amant
Des lieux tristes et abandonnés du monde,
Fidèle compagnon des destins accablés.
Ces champs émaillés
De cendres stériles, et recouverts
De lave pétrifiée,
Qui claque sous les pas du pèlerin,
Et où se niche et se tord au soleil
Le serpent, et où le lapin
Regagne sa tanière familière, encastrée dans la pierre,
Il fut un temps où des villas et des cultures
Y régnaient joyeuses, dorées d'épis,
Des troupeaux y meuglaient,
On y trouvait des jardins et des palais,
Séjour recherché
Des loisirs des puissants. Et des villes célèbres
Que, sous ses torrents, le mont altier
Avec tous ses habitants écrasa
En déversant sa foudre de sa bouche de flammes.
Le présent paysage est une seule ruine,
Et c'est là ta demeure, ô douce fleur, et comme
Compatissant au mal que les autres subirent,
Tu lances vers le ciel ton suave parfum,
Consolant le désert. Que sur ces rives
Vienne celui qui a coutume d'exalter
Sous les louanges notre condition et qu'il voie
Comment l'aimante nature se soucie
Du genre humain. Il pourra se faire une idée juste
De la puissance de la race des hommes
Que la cruelle nourrice, quand ils s'y attendent le moins,
D'un geste discret en un instant annule
En partie, et peut par des gestes
À peine moins discrets en un éclair
Annihiler la totalité.
Dépeints sur ces rivages
Sont de l'espèce humaine
L'admirable destin, les progrès de l'Histoire.
Regarde de ce côté, contemple ton reflet,
Siècle orgueilleux, idiot,
Qui abandonne une voie
Jusque-là pourtant soucieuse de renaissance
Et te vantes de revenir sur tes pas
En croyant avancer.
Les plus grands génies,
Qui mirent entre tes mains leur malheureux sort,
Flattent ton babil sénile, tout en le raillant
Parfois à part eux. Quant à moi
Je n'irai pas sous terre dans un linceul de honte,
Mais j'aurai démontré autant que faire se peut
Dans quel profond mépris je te tiens en mon coeur
Bien que je sache quel oubli ensevelit
Quiconque a eu le tort de déplaire à son temps.
Mais de ce mal au fond, qu'avec toi je partage,
J'ai bien pu jusqu'ici me moquer justement.
Tu vas rêvant de liberté mais tu veux
Asservir la pensée
Qui seule nous aida du moins partiellement
À détruire les fers de nos prisons barbares,
À faire croître en nous la civilisation,
À mieux orienter le destin collectif.
Tu aimas donc peu si peu connaître le vrai sens
De l'avilissement et du sort misérable
Qui nous vint par nature. Ainsi, tournant le dos
Veulement au jour qui les révèle, tu fuis,
Traitant de lâche qui n'a jamais dévié,
Et flattant celui qui, par folie ou par ruse,
Se méprise lui-même et méprise les autres,
Haussant au firmament la pauvre espèce humaine.
Quand un infirme sans fortune
A l'âme généreuse et élevée,
Il ne se prétend jamais
Couvert d'or et vaillant
Et ne se ridiculise pas
À vouloir mener grand train
Ou paraître vigoureux.
Mais il ne craint pas de montrer
Son manque de force et son besoin d'argent :
Il dit les choses en clair
Et se présente tel qu'en vérité.
Je ne prends pas pour un animal supérieur
Mais pour un crétin
Celui qui, né pour mourir, nourri dans les peines,
Dit « Je suis fait pour jouir »
Et noircit le papier d'un orgueil puant,
Promettant ici-bas un destin admirable,
Un bonheur inédit, dont nul dans l'univers
N'aurait eu connaissance, encor moins sur la Terre,
À des peuples qu'un raz de marée,
Un souffle de vent malsain, un séisme
Peuvent si bien décimer qu'il en reste
À grand-peine une trace.
De noble nature est celui
Qui ose lever ses yeux mortels
Vers le sort commun et qui d'un franc parler
Sans rien soustraire à la vérité
Avoue le mal qui nous est échu,
Notre condition misérable et frêle.
Il se montre grand et fort
Dans l'épreuve et n'accroît
Ni les haines ni les colères entre frères,
Ce qui serait un mal plus grave
Et s'ajouterait à sa misère, s'il accusait
L'homme de ses souffrances. Qu'il accuse plutôt
La vraie coupable, semblant la mère
Naturelle des mortels, mais est sa marâtre en intention.
Il l'appelle ennemie. Et pensant que contre elle,
L'humanité entière avant tout s'est unie,
Comme c'est dans les faits,
Il croit que tous les hommes
se sont confédérés, il les embrasse tous
Dans un unique amour, offrant et espérant
Une aide utile et prompte
Dans les dangers fréquents et dans les angoisses
D'une guerre commune.
Il croit stupide d'armer sa main droite
Contre les offenses de l'homme, et de tendre un piège
À son voisin, comme ce serait dans un camp
Entouré d'une armée hostile, au plus vif
De l'assaut.
D'oublier l'ennemi, d'entreprendre
De violentes rixes avec ses amis,
Et de causer de son sabre et ses cris une débandade
Parmi ses propres rangs.
Quand de telles pensées seront au public évidentes
Comme elles le furent un temps,
Et que cette terreur qui commença
Par retenir les mortels en chaîne sociale
Contre la nature cruelle,
Sera maîtrisée en partie
Par une science vraie, le juste et droit
Raisonnement des citoyens,
La justice et la piété auront alors
D'autres bases que les illusions arrogantes
Sur lesquelles a coutume de tenir en place
La probité du peuple ainsi que le peut
Celui qui séjourne dans l'erreur.
Souvent sur ces rives
Que le flot durci vêt de noir, désolées, semblant ondoyer,
Je m'assois la nuit. Et sur la triste lande
Dans le très pur azur
Je vois d'en haut flamber les étoiles,
Dont la mer est le miroir lointain,
Et tout le monde briller alentour
D'étoiles dans le vide serein.
Et une fois que j'ai fixé les yeux sur les lumières
Qui leur semblent un point,
Et sont immenses, tout comme
La terre et la mer ne sont pour elle
Qu'un point en vérité,
Et d'elles non seulement l'homme,
Mais le globe où l'homme n'est rien,
Est totalement inconnu ; et quand je contemple
Ces semblants d'écheveaux d'étoiles
Encore plus éloignés, à l'infini,
Qui nous paraissent une brume et auxquelles
Non seulement la Terre et le soleil, mais toutes nos étoiles
Au nombre, à la masse infinis,
Ensemble avec le soleil doré même,
Sont inconnues ou paraissent telles
Qu'elles paraissent à la Terre : un point
De lumière lumineuse, que sembles-tu alors,
Ô race humaine, à mes pensées ?
Et me souvenant de ton état ici-bas
Qu'évoque le sol sous mes pieds, et le nombre de fois
Où il te plut d'imaginer, toi qui te crois reine et fin destinée au Tout,
Que, des hauteurs du ciel, descendaient les auteurs de l'Univers,
Dans cet obscur grain de sable qu'on appelle la Terre,
Rien que pour toi, et conversaient fréquemment
Avec les tiens plaisamment, et me souvenant que, renouvelant
Ces rêves dérisoires, l'ère présente insulte les savants,
Alors qu'elle semble surpasser en sciences
Et en moeurs civiles, je me demande :
Quelle émotion, ô race malheureuse, quelle pensée
M'envahissent au fond à ton propos ?
Que prévaut en mon coeur, le rire ou la pitié ?
Comme tombe de l'arbre une petite pomme,
Que l'automne en mourant a mûrie et laissée
Sans force en la faisant rouler dessus la terre,
Écrasant le séjour d'un peuple de fourmis,
Doucement niché dans la glèbe molle,
Au terme d'un labeur, et avec lui, le trésor
Péniblement caché durant les jours d'été,
L'anéantissant et l'ensevelissant en un instant,
De même, nuit et ruine furent
Par l'utérus vagissant projetées
Vers le ciel lointain, sombrant dans une pluie
De cendres, de roches, de pierres ponces,
Dans un magma de torrents brûlants,
Roulant que le flanc de la montagne,
Énorme crue, enragée à travers les herbes,
De pierres liquéfiées
Et de métaux et de sables enflammés,
Bouleversant, détruisant, enterrant en un rien
Les villes que la mer sur le rivage lointain
Baignait. À présent sur ce qu'il en reste
La chèvre broute, et des villes nouvelles
Se dressent de l'autre côté, auxquelles les cités ensevelies
Servent de marchepied, et le mont cruel
Semble piétiner leurs murailles écrasées.
La nature n'a pas, pour la race des hommes,
plus d'estime ou de soin qu'à l'égard des fourmis.
Le massacre est chez l'un plus rare que chez l'autre :
Mais c'est seulement que l'espèce du premier
Se reproduit moins bien que ne fait la seconde.
Voilà mille huit cents ans qu'écrasé sous les flammes
Disparut tout le peuple qui demeurait ici.
Le vigneron penché sur les grappes prend peine
À nourrir le terrain qui se meurt sous la cendre
En levant un regard craintif vers le sommet
Fatal qui paraissant plus jamais bénin
Menace cependant de massacrer ses fils,
Ses pauvres petits-fils. Souvent le malheureux
Se hisse sur le toit de sa maison rustique,
Sans trouver le sommeil, sursautant fréquemment,
Pour espionner le cours des terrifiants bouillons,
Que crachent des entrailles insatiables,
Sur les flancs ensablés scintillant sous les eaux
Des rives de Capri, ou bien du port de Naples
Ou de Mergellina. Et s'il voit le torrent
Approcher ou entend l'eau brûlante du puits
Gargouiller dans le noir, il réveille ses enfants,
Il réveille en hâte sa femme, et en avant, ils fuient,
Emportant avec eux le peu de choses qu'ils peuvent,
En voyant leur nid familier
Et leur petit terrain,
Qui seul put leur servir à combattre la faim,
En proie au torrent de flammes
Qui coule en crépitant, inexorablement
S'avançant vers eux pour les écraser à jamais.
Pompéi détruit revient au jour
Après un long oubli,
Squelette enseveli, qu'une simple carence
De terre ou la pitié remettent à l'air libre.
Dans le forum désert, le pèlerin debout
Entre les rangs des colonnes décapitées
Contemple la cime dédoublée
Et la crête fumante, prête à vomir encore
Pour menacer les ruines répandues.
Et dans l'horreur de la secrète nuit,
Dans les théâtres vides,
Les temples dévastés et les maisons détruites,
Où les chauves-souris protègent leurs nichées,
Comme un flambeau funèbre,
Dansant dans les palais vides, ténébreuse,
Scintille la lueur de la lave mortelle
Qui rougeoie au lointain
À travers les ombres,
En couvrant alentour tout l'endroit de sa pourpre.
C'est ainsi dédaigneuse, et de l'homme et du temps
Qu'il nomme Antiquité, et de ce qui attend
Enfants, petits-enfants, que la nature verte,
Chaque nouveau printemps, poursuit avec constance
Un voyage si long qu'elle semble immobile.
Les règnes cependant se succèdent sans doute,
Les peuples évoluent et les langages meurent,
Elle ne le voit pas. Et l'homme croit pouvoir
Se vanter d'inventer le mot éternité.
Et toi, discret genêt,
Qui de taillis odorants
Ornes ces champs nus,
Bientôt tu cèderas au pouvoir cruel
Du feu souterrain
Qui, reprenant un chemin
Familier, étendra sa langue avide
Sur tes tendres buissons. Et tu inclineras
Sous le faix mortel ta tête sans réserve,
Malgré son innocence :
Mais sans supplier lâchement et en vain
Ton futur oppresseur devant lequel tu n'a jamais fléchi.
Et sans opposer un orgueil forcené vers les étoiles
Ni sur le désert où
Tu naquis et vécus, non par volonté mais par destin.
Plus sage que l'homme et d'autant
Moins infirme, que tu n'as jamais cru
Que le destin ou la volonté avaient rendu
Tes fragiles racines immortelles.
1836.
Le genêt, ou la fleur du désert (traduit de l'italien par René de Ceccatty), in Canti, Chants.
Giacomo Leopardi : Le Genêt (1836, mais publié en 1845), de structure libre, est une méditation stoïque sur la précarité de la condition humaine comparée à la fleur du genêt qui embaume les pentes du Vésuve.
Que chacun pense et agisse à sa guise, la mort ne manquera pas d’en faire autant.
Giacomo Leopardi, « Dialogue d’un physicien et d’un métaphysicien »