Contexte global : la guerre sans fin (1792-1805)
Depuis 1792, la France révolutionnaire puis napoléonienne est en guerre quasi-permanente contre les monarchies européennes, qui veulent à la fois :
- arrêter la contagion révolutionnaire (idées de 1789),
- récupérer les territoires perdus,
- empêcher l’émergence d’une puissance hégémonique française.
1803-1805 : la « Troisième Coalition » se forme
Objectif britannique : reconstituer une coalition continentale pour obliger Napoléon à se battre sur deux fronts et l’empêcher d’envahir l’Angleterre.
- Avril 1805 : traité secret Angleterre – Russie
- Août 1805 : l’Autriche adhère (sous pression financière anglaise : subsides de 4 millions de livres).
- Septembre 1805 : la Prusse reste neutre (pour l’instant), la Suède et Naples rejoignent la coalition.
- Forces coalisées prévues : ≈ 450 000 hommes (dont 250 000 Autrichiens + Russes en marche).
Objectif des Alliés :
- Autriche : reprendre l’Italie du Nord et les territoires perdus en 1801.
- Russie (Alexandre Ier) : jouer le rôle de « sauveur de l’Europe » et limiter l’expansion française.
- Angleterre : détruire la puissance militaire française sur le continent pour sécuriser ses routes commerciales.
Été 1805 : le Camp de Boulogne et le projet d’invasion de l’Angleterre
Napoléon a massé à Boulogne, Bruges, Ostende, etc. la plus formidable armée d’invasion jamais vue :
- ≈ 170 000 hommes et 2 300 bateaux de débarquement
- 9 corps d’armée parfaitement entraînés (future Grande Armée)
- Objectif : traverser la Manche dès que la flotte franco-espagnole aura la supériorité 48 h.
Septembre-octobre 1805 : la campagne d’Ulm – « la plus belle manœuvre de l’Histoire » (Napoléon)
Objectif : empêcher la jonction des armées autrichiennes et russes.
- 250 000 Autrichiens sous Mack envahissent la Bavière (alliée de la France) dès septembre.
- Napoléon contourne les Autrichiens par le nord (franchissement du Rhin 25-26 septembre), descend le Danube en tenaille.
- 17 octobre : encerclement total d’Ulm.
- 20 octobre : capitulation de Mack → 23 000 prisonniers, 60 canons, 18 généraux. Pertes françaises : 1 500 hommes. → En trois semaines, l’Autriche perd son armée principale sans pratiquement combattre.
Napoléon entre à Vienne le 13 novembre 1805 (presque sans résistance).
Fin novembre 1805 : situation avant Austerlitz
- L’archiduc Charles est encore loin en Italie, l’archiduc Jean en Tyrol.
- Les Russes de Koutouzov (60 000) ont réussi à éviter l’encerclement mais reculent en désordre vers Olmütz (Moravie).
- Renforts russes (Buxhöwden, Essen) arrivent lentement.
- Napoléon n’a plus que 70-75 000 hommes (beaucoup de détachements laissés sur ses arrières).
- Sa ligne de communication (vers la France) est très allongée (1 500 km) et menacée par la Prusse qui hésite à entrer en guerre.
Situation critique pour Napoléon :
- Il doit livrer une bataille décisive avant que la Prusse ne se joigne aux coalisés et que les renforts russes n’arrivent.
- Il doit la gagner vite, car ses soldats sont à bout (froid, ravitaillement difficile).
C’est pourquoi il va tout faire pour provoquer les Alliés à l’attaquer sur un terrain qu’il a choisi : le plateau de Pratzen.
Les enjeux précis d’Austerlitz (2 décembre 1805)
Pour Napoléon :
- Une victoire décisive = sortie immédiate de l’Autriche de la guerre → dissolution de la Troisième Coalition.
- Une défaite ou même une victoire partielle = risque de voir la Prusse et d’autres États allemands se retourner contre lui → fin de l’Empire naissant.
Pour les Alliés :
- Une victoire = Napoléon coupé de ses bases, obligé de repasser le Danube, peut-être renversé.
- Alexandre Ier rêve de marcher sur Paris.
Résultat immédiat après Austerlitz
- 4 décembre 1805 : armistice
- 26 décembre 1805 : traité de Presbourg
- Autriche perd Venise, le Tyrol, le Vorarlberg, reconnaît tous les royaumes satellites français (Bavière, Wurtemberg, Bade).
- Paie 40 millions de francs de contribution.
- La Prusse, terrifiée, signe avec Napoléon le traité de Schönbrunn (15 décembre) puis l’alliance offensive de Paris (1806).
- La Troisième Coalition est morte en 27 jours de campagne (25 août – 2 décembre 1805).
En résumé : Austerlitz n’est pas seulement une bataille, c’est le point culminant d’une campagne de six mois où Napoléon transforme l’échec de Trafalgar en triomphe continental absolu. C’est aussi le moment où il atteint le sommet de sa puissance : « l’Empire de 80 millions d’âmes » est à portée de main… jusqu’à la Quatrième Coalition l’année suivante.
Voici une reconstitution heure par heure extrêmement précise de la bataille d’Austerlitz (2 décembre 1805), telle qu’elle est reconstituée par les meilleurs historiens militaires modernes (notamment Frédéric Naulet, Alain Pigeard, Jean Tulard, Andrew Roberts, Robert Epstein, etc.). C’est la bataille la plus étudiée de l’époque napoléonienne, et nous disposons aujourd’hui d’une chronologie quasi-minute par minute grâce aux rapports d’état-major, lettres et mémoires des deux camps.
Contexte stratégique rapide (les enjeux)
- Campagne de la Troisième Coalition (Autriche + Russie + future Prusse).
- Napoléon a 68 000 hommes et 139 canons (Grande Armée, fatiguée mais très expérimentée).
- Alliés : 85 500 hommes et 318 canons (73 000 Russes + 12 500 Autrichiens environ), commandés par Koutouzov (théoriquement), mais l’empereur Alexandre Ier et son entourage imposent un plan offensif.
- Terrain : plateau de Pratzen (clé du champ de bataille), soleil bas (le « soleil d’Austerlitz »), brouillard matinal épais, étangs gelés (Satschan, Menitz).
- Plan allié : déborder l’aile droite française (perçue comme faible) au sud pour couper la route de Vienne et forcer Napoléon à la retraite.
- Plan français : laisser volontairement l’aile droite faible pour attirer l’ennemi sur le plateau de Pratzen, puis percer au centre avec la Garde et les réserves quand les Alliés auront vidé leur centre.
Chronologie précise heure par heure – 2 décembre 1805
- Au centre : Vandamme repousse Liechtenstein et Miloradovitch vers le nord.
- Au sud : Davout (Friant + Bourcier) reprend définitivement Telnitz et Sokolnitz. Les colonnes russes de Langeron et Przybyszewski sont prises en tenaille.
- Au nord : Lannes et Murat tiennent contre Bagration et Liechtenstein (cavalerie). Caffarelli et les grenadiers à cheval chargent magnifiquement.
Bilan chiffré officiel (sources françaises + autrichiennes + russes)
- Français : 1 305 morts, 6 940 blessés, 573 prisonniers → ≈ 9 000 pertes (13 %).
- Alliés : 11 000 à 15 000 morts et blessés + 12 000 prisonniers + 186 canons + 50 drapeaux → ≈ 27 000 pertes (32 %). C’est la victoire la plus complète de Napoléon.
Les trois grandes phases stratégiques
- Le leurre (nuit + matin) : Napoléon laisse croire à une armée en difficulté (abandon volontaire du plateau de Pratzen la veille).
- La manœuvre centrale (8 h – 11 h) : Soult perce là où l’ennemi n’est plus.
- L’encerclement et l’anéantissement (11 h – 14 h) : Davout fixe au sud, Lannes/Murat au nord, centre français avance en coin.
C’est la bataille que Napoléon lui-même considérait comme son chef-d’œuvre absolu : « La plus belle de toutes celles que j’ai livrées. »
Napoléon a remporté la bataille d’Austerlitz le 2 décembre 1805 avec une perfection presque irréelle, mais il a finalement perdu la guerre qui l’opposait à l’Angleterre et, à plus long terme, à la Russie et à l’Europe coalisée. Pour comprendre ce paradoxe, il faut distinguer trois niveaux : pourquoi il gagne la bataille, pourquoi il domine ensuite le continent pendant sept ans, et pourquoi, malgré tout, il finit par tout perdre.
Pourquoi Austerlitz est une victoire absolue
En 1805, la Grande Armée est l’instrument militaire le plus perfectionné que l’Europe ait jamais vu : soldats aguerris, officiers brillants, mobilité extraordinaire, confiance totale en l’Empereur. Napoléon lit le terrain et l’adversaire comme personne. Il sait que les Alliés (Russes et Autrichiens) veulent déborder son aile droite pour le couper de Vienne ; il décide donc de la laisser volontairement faible pour attirer l’ennemi sur le plateau de Pratzen, qu’il vide ensuite de ses propres troupes la veille. Quand les colonnes russo-autrichiennes descendent attaquer Telnitz et Sokolnitz, elles dégarnissent leur centre. Napoléon n’attend plus que le brouillard se lève pour lancer Soult au cœur du dispositif ennemi. Le reste est connu : percée fulgurante, prise du plateau, arrivée miraculeuse de Davout, charges de la Garde et de la cavalerie lourde, débâcle totale des Alliés. Erreurs adverses, audace calculée, exécution parfaite : c’est le jour des jours.
Pourquoi il domine l’Europe de 1805 à 1812
De 1807 à 1810, Napoléon est maître incontesté du continent. Aucun État ne peut lui résister seul. L’Angleterre est isolée, incapable de débarquer massivement tant que la Royal Navy domine les mers.
Pourquoi il perd la guerre à long terme
La vraie guerre, celle qu’il ne peut jamais gagner, se joue ailleurs :
- La mer appartient à l’Angleterre depuis Trafalgar (21 octobre 1805). Napoléon ne pourra jamais envahir les îles Britanniques ni menacer réellement Londres.
- Le blocus continental, décrété en 1806 pour asphyxier économiquement l’Angleterre, échoue. La contrebande est massive, les alliés de Napoléon (dont la Russie) trichent, les populations européennes souffrent et lui en veulent.
- L’Angleterre a les moyens de payer indéfiniment des coalitions. Chaque fois que Napoléon écrase un adversaire, Londres trouve de l’or pour en relever deux autres.
- L’enlisement en Espagne à partir de 1808 devient l’« ulcère » qui ronge l’Empire : des centaines de milliers d’hommes immobilisés, une guérilla interminable, Wellington qui tient et finit par avancer.
- La rupture avec la Russie en 1812 est fatale. Alexandre Ier rouvre ses ports aux navires anglais ; Napoléon décide de le punir et lance la campagne de Russie avec près de 600 000 hommes. Il prend Moscou, mais l’incendie et l’hiver détruisent son armée. Il ne rentre qu’avec quelques dizaines de milliers d’hommes.
- Dès 1813, tout le continent se retourne : la Prusse, l’Autriche, la Suède, les États allemands, financés par l’Angleterre, forment la Sixième Coalition. Leipzig (octobre 1813), la « bataille des Nations », est la plus grande défaite de Napoléon. Paris tombe en mars 1814.
- Le retour des Cent-Jours en 1815 ne fait que repousser l’inévitable : Waterloo et Sainte-Hélène.






