vendredi, septembre 24, 2010

"Voyages" à Bagdad à l'époque d'Harun Al Rashid

Bagdad


Ce matin Shahrzad m'a aspiré et reçu dans son appartement privé à l'intérieur d'un des palais du Calife. Nous avons pris le petit déjeuner sur son balcon, au dessus d'un splendide parc qui donne directement sur le fleuve en dessous.

Elle portait son habit officiel...C'est amusant. Vous voyez Néru, tout de blanc vêtu. Elle est vêtue pareil avec en plus une écharpe blanche à la ceinture et un turban immaculé soigneusement enroulé sur sa tête. Rien, aucune distinction, aucun bijou, aucune fioriture, la simplicité absolue.

Une chose étonnante que l'on ressent tout de suite au contact de Shahrzad, c'est son intelligence. Elle rayonne cette intelligence paisible, bienveillante, amicale dans tout ce qu'elle fait.

Une autre chose impressionnante chez elle, c'est qu'elle est célibataire, vierge et qu'elle n'est ni lesbienne, ni rien de ce qui correspond aux critères habituels. Elle a beau être d'une beauté à couper le souffle, elle force le respect et même l'admiration par sa seule présence. Je ne sais pas comment décrire cela.

Voilà, Shahrzad a du partir pour se rendre à des audiences. Elle m'a laissé visiter son bureau, une véritable caverne d'Ali Baba, des livres partout, des instruments étranges, des herbes, des pierres, des cartes, ...Une Newton au féminin?

Ce qui me surprend le plus, c'est l'incroyable liberté dont jouit Shahrzad à la cour et surtout l'incroyable tolérance, culture, ouverture d'esprit du Calife...

Hummm....
Je commence à comprendre deux choses stupéfiantes.

La première c'est que Shahrzad est en train de "traiter" ma propre schizophrénie par dessus les distances, les temps, les espaces, c'est une chose incroyable, je sais...mais bon, avec Shahrzad ...et les résultats sont là, ma propre schizo devient mieux vivable grâce à elle, certains symptômes régressent, etc...

La deuxième, c'est encore plus incroyable, je sais, mais une fois que l'on a tissé des relations étroites avec des apparitions, ...Bon, je ne vais pas en dire plus....

Toujours pas de Shahrzad ce matin, ni par "aspiration" chez elle, à Bagdad, ni en "apparition" en visite chez moi.
Elle me laisse décanter les images des rencontres précédentes et il est des détails qu'effectivement...
C'est bien cela, c'est un peu comme de l'impressionnisme, au début ce ne sont que des points, les choses les plus visibles, celles qui retiennent l'attention en premier, puis si l'on revient sur les images, ce sont des petits détails qui alors intriguent.
Je trouve cela fort amusant.

Shahrzad ne cesse pas de m'aspirer...
Je découvre la Newton au féminin, elle me reçoit dans son bureau capharnaum, mais bon, elle s'y retrouve. Elle fait des calculs étranges et elle me demande mon avis.
Je répond toujours par bof, je ne comprend rien à ses recherches. Ce n'est pas important, ma présence pendant quelques instants doit l'inspirer.Cela dépend du bof. Il doit exister des bofs affirmatifs, des bofs dubitatifs, d'autres bofs étranges...
Ce qui compte c'est que j'adore être avec elle et pour ces quelques instants qu'elle m'offre, là, ce n'est pas bof.



Zubayda

Encore une aspiration ce matin. Décidément Shahrzad ne me lache plus. Bon j'ai trainé un peu dans le tunnel, je voulais essayer de comprendre comment elle faisait cela.
-Vous voilà enfin!
-J'étais trop bien dans le tunnel, ce pont au dessus des espaces et des temps, je voulais comprendre.
-Vous n'avez toujours pas compris que c'est une chose naturelle chez vous, qui ne vous demande aucun effort, contrairement à moi, où c'est toujours un acte volontaire qui me demande tout un travail préparatoire. Vous avez bien de la chance. Mais laisssons là, je vais vous conduire chez la belle Zubayda, l'épouse du Calife, un lieu interdit aux hommes, un palais dans le palais, une véritable merveille, vous allez "voir".

A l'entrée deux gardes en armures étincellantes. surprise, ce sont des femmes.

-Dans le palais de Zubayda vous ne verrez que des femmes, pas le moindre eunuque, elle les a en horreur. Le seul homme autorisé à franchir cette porte est le Calife, mais il doit d'abord en demander l'autorisation à son épouse.

Nous franchissons la porte. Incroyable !

Je ne pensais pas qu'un tel luxe et un tel raffinement puisse exister. Shahrzad n'a pas exagéré. Une pure merveille, comme seule une femme hors classe, hors normes pouvait l'imaginer.

J'ai l'impression d'être au paradis....

-Allons, allons, venez! Dépêchons nous. Zubayda nous attend. Cette "fenêtre" est courte. Zubayda ne pourra ni vous "voir", ni vous "entendre". Je servirais donc d'intermédiaire.

-Voilà, voilà, je viens...que de beauté...que de merveilles...

Une fois de plus, il n'est pas possible de raconter l'entretien accordé par l'Impératrice (elle mérite amplement ce titre) Zubayda. Dommage...



Harun Al Rashid

Shahrzad m'a aspiré au moment où je m'y attendais le moins. Je me suis retrouvé dans une rue quasi déserte de Bagdad. Il faisait nuit noire. Trois "marchands" comme des ombres. L'un deux était Shahrzad. Elle était la seule à pouvoir me voir. Je suis une de ses apparitions...
Elle m'a pris par la main. Nous sommes entrés dans un restaurant tenu par des chrétiens, des byzantins il me semble, très courtois. L'intérieur était très chaud, très confortable, des tentures de couleurs chaudes sur les murs. Nous nous sommes assis à une table. Mes trois compagnons "marchands" ont ôté leurs capes...Shahrzad, Tarik, le capitaine des gardes, et...je n'ai eu aucun doute dès que j'ai vu ses yeux, le Calife en personne, Harun Al Rashid...

Ce que je remarque tout de suite c'est son extrême intelligence. Il ne peut pas me voir et donc j'ai tout loisir de l'observer sans être gênant. Sa paranoïa, non, je ne remarque rien. Il est paisible et détendu. On sent qu'il a coutume de ces sorties dans l'anonymat avec Shahrzad et Tarik, juste pour prendre la respiration du peuple.

Mais Shahrzad n'a d'yeux que pour une partie d'échecs à la table d'en face...L'envie de jouer la démange. Elle me fera toujours rire.

Shahrzad joue contre un aveugle, un homme agé, fine barbe et moustache blanche, turban sur la tête, très calme, qui semble toujours regarder droit devant lui. L'échiquier, il l'a dans la tête. Shahrzad doit juste énoncer les coups pour qu'il mémorise. Il donne son coup oralement et Shahrzad bouge ses pièces à sa place. Un petit groupe s'est formé autour de ces joueurs paisibles. Shahrzad gagne trois partie d'affilée. Elle crée le spectacle. Personne ne s'attend à voir une femme aussi belle, aussi douée pour ce jeu.

Harun Al Rashid aime ce petit restaurant confortable tenu par des chrétiens. Il souffre de troubles du sommeil à cause des responsabilités qui pèsent sur ses larges épaules. Son empire est mal assuré, des conflits, des luttes de pouvoir, des contestations de son autorité.

C'est Shahrzad qui a eu cette idée que je trouve géniale. Pendant ces sorties nocturnes, le Calife n'est plus le Calife, il n'est plus qu'un marchand ordinaire, anonyme dans cette capitale en construction et en ébullition, qu'est Bagdad. Cela le repose et lui permet de prendre de la distance, du recul par rapport à sa charge. Et puis il aime écouter les gens. Ce petit repas paisible parmi ces marchands chrétiens qui ne pensent que commerce et jeu d'échec lui fait le plus grand bien. Ses paupières tombent. Il est temps de rentrer, de retourner au Palais...

Shahrzad le sait, elle le sent sans même se retourner. Elle quitte la partie et remercie son adversaire. Les trois "marchands" sortent dans la nuit noire. Shahrzad me dit au-revoir en aparté.
-J'ai un projet de voyage. Je passe un de ces matins...

Et je me suis retrouvé chez moi...



Shahrzad m'a encore aspiré ce matin. Voilà, je suis au cœur du secret des Mille et Une Nuits. C'est vraiment passionnant. Shahrzad a voulu me faire plaisir. Le Calife est dans son lit, il s'éveille doucement à ce jour nouveau. Comme tous les musulmans très pieux, il possède une horloge interne. Pour rien au monde il ne manquerait les deux prières du matin. Il s'étire longuement. Il a bien dormi, il est détendu.
Shahrzad est sagement assise sur le bord de son lit. Elle est tirée à quatre épingles dans son habit officiel, d'un blanc immaculé, très simple et très strict. Elle tient à marquer sa distance et à bien faire comprendre au Calife que ce n'est ni une chose légère, ni une chose anodine que ces séquences imaginaires qu'elle génère spécialement pour lui. Une psychothérapeute d'avant garde, extrêmement raffinée, un luxe que seul un Calife comme Harun Al Rashid peut s'offrir, parce qu'il en a et l'intelligence et les moyens.
A coté d'elle une autre jeune femme absolument ravissante, de très noble origine, prend des notes. Elle fait partie du service littéraire de Zubayda.

Shahrzad commence par papoter avec le Calife, elle lui demande s'il a passé une bonne nuit, s'il a fait des rêves, ...tout semble très anodin.

Bon je continuerai une autre fois.
Merci Shahrzad pour cette "aspiration"...Shahrzad ne veut pas que j'en dise plus...
La suite est d'ordre totalement privé.
Mais bon, grâce à elle, je suis venu, j'ai vu....


C'est une chose difficile à voir et à sentir que la schizophrénie de Shahrzad, pourtant elle transparait au fur et à mesure de ses contes interminables.

Mais le plus surprenant, c'est son génie, cette façon unique de comprendre qu'elle ne pourra pas se guérir de cette schizophrénie qui fait qu'elle entend des voix, reçoit la visite des djinns et des esprits, etc..etc...

Et donc si elle ne peut pas stoper cela, elle ne le veut pas d'ailleurs, elle considère que c'est une chance inestimable que d'accéder facilement à l'Invisible, il faut qu'en contrepartie elle s'adapte au monde des personnes normales.

Elle va faire du Newton avec des centaines d'années d'avance: devenir plus normopathe que normopathe pour rendre la schizophrénie acceptable et vivable au quotidien.

Elle et Newton ont parfaitement réussi cela. Mais gare aux plus normopathes que normopathes.....

Cette série de séquences imaginaires est vraiment stupéfiante. Je ne connaissais pas Shahrzad sous ce jour là.
Décidément, elle me surprendra toujours.

Si vous voulez lutter contre la corruption, faite appel à un ou une schizoïde paranoïde capable de transmuter en plus normopathe que normopathe...le résultat est garanti.
Le Reine Anne d'Angleterre et Harun Al Rashid avaient bien compris cela....



Après le thé, les galettes aux amandes et au miel sous les palmiers, Shahrzad a voulu me faire visiter un petit quartier de Bagdad qu'elle adore...
Nous avons suivi à pied le bord du fleuve paisible. Tarik, son garde était vétu comme un marchand...mais il ne trompe personne avec son poignard à la ceinture...c'est un tueur de la pire espèce..froid, un fluide de mort l'entoure et sa seule présence fait peur. il existe des tueurs professionnels comme cela...Heureusement qu'il ne me voit pas. Mais son instinct "sent" quelque chose...Mais comme Shahrzad me tient par la main, une lubie chez elle, et que Tarik prend certains comportements de sa maitresse qu'il vénère pour des extravagances qu'il ne comprend pas, cela passe...
Personne ne peut me voir, sauf Shahrzad, les djinns et...les démons qui pullulent en ce monde.
J'adore cette promenade. Shahrzad est ravie que j'aime sa ville. Je dois me taper toutes les boutiques. La princesse a mis son voile pour rester anonyme dans son vêtement d'un blanc immaculé. ses yeux m'éclaboussent de sa gaité...Elle compare, discute, marchande, mais n'achète rien ou presque car elle n'a besoin de rien ou presque, c'est une spartiate dans le fond de son âme, elle déteste les biens matériels, l'avoir. Lorsqu'elle achète quelque chose, c'est toujours pour l'offrir ensuite. On sent qu'elle aime les petites gens...Cela grouille de vie. j'adore aussi ce quartier ou cela bouge et crie dans tous les sens, j'en ressens mieux la folie. Plus personne pour voir le ciel...Et tous ces démons qui se moquent...Je ne savais pas qu'il puisse y en avoir autant, sous autant de formes...Shahrzad les voit aussi...brr c'est une autre histoire...
Il n'est pas permis de raconter la suite...c'est dommage.
Il est préférable de ne pas indisposer la Divinité au Masque Sans Visage...
Par contre, et c'est très surprenant, il est toujours possible de revenir sur les images. Au début ce n'est un peu que comme de l'impressionnisme, une sorte d'éclairage en pointillé de certains détails.

Ce qui me surprend c'est que Bagdad est une sorte de ville nouvelle, de ville neuve, en construction même, et pourtant il existe comme une patine ancienne. Une ville nouvelle peut-elle être ancienne? Etrange impression...

Une autre chose, c'est que le Fleuve, le Tigre est présent et palpable dans "l'esprit" de cette ville. Un fleuve superbe et qui ne doit pas être toujours paisible...C'est vert, très vert même. Dans ce voyage Bagdad est une ville verte.

Une autre chose, c'est le caractère cosmopolite, la grande diversité des gens dans la rue. Des chrétiens, des juifs, des perses, des syriens, en plus bien sur des musulmans souvent vêtus de blanc. La tolérance de cette grande diversité est palpable, personne ne semble craindre pour le fait d'afficher son appartenance à une race, un peuple, une culture ou une religion...mais ce n'est qu'une première impression.

Les gens semblent heureux de vivre et surtout très dynamiques, très actifs. Ils aiment faire commerce, on sent qu'ils veulent vivre bien et qu'ils ont envie de s'enrichir sur le plan matériel.

Bon, bon, oublions tous les démons...



Harun Al Rashid et ses 2000 femmes...

En fait, il n'en a qu'une seule. Cela fait penser aux pingouins et autres animaux qui vivent en grandes colonies. Le couple légitime sait se retrouver. Harun Al Rashid n'aime que Zubayda, mais ils vivent dans des appartements séparés, le luxe des personnes très riches. Le Calife vient voir son épouse quand il en a envie mais toujours il l'informe de sa venue et demande son accord. Un rituel.

Il ne passe pas ses nuits dans les appartements de son épouse mais dans le sein. Shahrzad dispose du sien propre aussi, mais contigu à celui du Calife. Elle est celle qui veille sur son sommeil.

Harun al Rashid a des troubles du sommeil, des insomnies. Alors parfois, avec Shahrzad, un capitaine des gardes, ils se déguisent et sortent la nuit, incognitos, se promener dans les rues de Bagdad, prendre la température de la réalité.

La maison de campagne de Shahrzad au bord du Tigre, en amont de Bagdad est surprenante. Un aménagement spartiate. Déjà que la Princesse ne porte jamais de bijoux, encore moins de maquillage, là elle fait fort. Sa maison privée est d'une modestie et d'un charme qui laissent songeurs. Un vieux couple s'occupent de l'entretien et du jardin. Et puis Tarik, un fier capitaine de la Garde veille. Harun Al Rashid lui avait offert une escorte, elle n'a choisit que ce brave qui la suit du regard partout et veille sur elle...
Elle est vraiment très amusante. Personne d'autre quelle ne peut me voir et donc je l'observe à loisir. Parfois elle me lance un sourire.

Elle passe son temps à écrire. Non, pas les Mille et une Nuits, non, non, un rapport très technique sur la corruption. Des têtes vont tomber. Harun Al Rashid comme tous les paranoïaques peut se montrer terrifiant. Elle m'a demandé de venir car elle sait les lourdes conséquences de son rapport...

J'ai lancé une blague pour la détendre un peu:
-C'est Newton que vous auriez du faire venir, il aurait été de bien meilleur conseil que moi.

Cela ne l'a pas fait sourire du tout...Alors je n'ai plus rien dit. Je me suis assis à coté d'elle et je l'ai regardé écrire avec une vitesse stupéfiante, sans la moindre rature ni hésitation.

-Fuyez, fuyez, emportez vos rapines au loin. Fuyez l'aube noire, le jour funeste où les gardes viendront vous saisir. Le Jugement n'est-il pas proche?

(C textes) Ivano Ghirardini, une série de "voyages" à Bagdad en février et mars 2010