vendredi, septembre 24, 2010

L'institutrice


Nous prenons un train.
Il fait froid, c'est brumeux.
Où va ce train, je l'ignore, c'est un long voyage, plein d'escales et
d'imprévus.
Un voyage hors du temps et des lieux.

Je monte, je n'ai que très peu de bagages, sauf moi même, et je suis
moi même mon propre bagage pour mon âme.
Je me cherche une place, près d'une fenêtre.

Le train repart dans les brumes du matin.
Les campagnes défilent, c'est une terre froide, gelée, enneigée.
Le transibérien?

Ici, on peut fumer.
J'allume ma pipe et je rêve.

Il existe un bon salon dans le train pour boire du thé, très chaud,
très bon.
Une escale.

Je retourne à ma place près de la fenêtre.
Une femme est montée.

Elle s'assit en face de moi.
Je la regarde.
Je me sens bien, détendu, en paix.
Cette femme est "confortable".
C'est la première impression.
Celle de pouvoir être entièrement soi même, à l'aise.
une impression de grand confort.

Elle me regarde. C'est Shahrzad.



Oui, c'est un long et paisible voyage,
Rien ne presse,
Restons tranquilles,
Nous avons tout notre temps.

Je suis montée à une petite station perdue dans les bois.
J'ai réservé un compartiment paisible.
Je suis très bien dans ce train.
Il est vraiment très reposant.

C'est un train calme qui nous laisse le temps.
Le temps de regarder les paysages
de lire
de rêver.

Ou de jouer aux échecs.
Je suis dans le wagon salon.
C'est un peu enfumé, bruyant, mais j'aime bien.
Je joue aux échecs depuis des heures.
je ne me lasse pas.

Tous les hommes veulent me défier...
Mais ils déchantent vite au bout de quelques coups.

Mon âme sœur peut elle me battre aux échecs?
Nous verrons bien.

Les paysages sont superbes.
Mes adversaires si lents....

<>
J'ai acheté des beignets chauds, délicieux, à un petit vendeur à la
criée, à la station ou je suis monté.

J'en offre à Shahrzad qui les adore.
Je m'installe dans son compartiment.

Ce n'est même pas la peine de lui demander.
On est coéquipiers dans ces voyages depuis si longtemps.

Ce train est vraiment superbe et très relaxant.

Je m'allonge sur la couchette.
J'ai ouvert la fenêtre.
L'air est doux.
Nous filons vers le Grand Sud.

Les paysages sont doux et reposant.

Je sors de ma poche un cigare.
Un thyrrénéo originale.
Un cigare infect mais la petite princesse de Baghdad a l'habitude.
Cela ne la dérangera pas lorsqu'elle en aura fini avec ses parties
d'échecs qu'elle adore.

La nuit glisse sur ce train.
Les étoiles.

Est-ce un train ou bien un vaisseau spatial ?
Je crois qu'il est temps d'aller au wagon restaurant.


voilà, je suis avec Shahrzad dans le wagon restaurant.
Je sais, c'est pas une heure pour se lever.
La nuit a été agitée.

Il est l'heure du repas et nous avons tous les deux envie d'une gros
bol de café fort, au miel, pour retrouver nos esprits.

Le train roule, paisible.
Des lacs, des prairies.
Au loin des montagnes enneigées.

J'inviterais bien cette joueuse de violon à danser.
Shahrzad me regarde et sourit.
Elle lit mes pensées, cette princesse, c'est vrai j'oubliais.

Après quelques gorgées de café, je retrouve mes esprits.
Je vous raconte.

Cette nuit, nous avons été enlevés par des ET.
Non, je ne délire pas. Ils ont carrément détourné le train.
Ils nous ont projeté dans leur planète à des milliers d'années
lumières d'ici.
Pour les explications techniques, il faut leur demander à eux, moi,
cela me dépasse.

Nous sommes arrivés dans une ville tout en verre.
Que des bocaux empilés les uns sur les autres avec des parcs
d'attraction un peu partout.

Une ville pour gamins! Ce fut ma première impression.
Avec Shahrzad, nous étions les seuls réveillés.
Tous les autres passagers du train dormaient comme des bébés, sans
doute plongés dans quelques sommeils artificiels par les ET.

Et vous savez quoi, Shahrzad est une star sur cette planète.
A peine arrivés, une foule d'ET s'est précipitée contre la vitre de
notre compartiment.
Ils voulaient tous des autographes ou se faire prendre en photo avec
elle.
Des vrais gamins je vous dis.

Marrant ces ET. un cerveau énorme qui semble flotter au dessus d'un
corps longiforme, très fin, pas de sexe.
Ils vivent nus et semblent clonés.
Ma parole ils naissent dans des bocaux de verre, vivent dans des
bocaux de verre et doivent être recyclés dans des bocaux encore.
Des cornichons? Je blague...Ils pourraient se vexer.

Vous savez quoi encore.
Ils ont détourné le train pour jouer avec Shahrzad aux échecs!
Toute leur planète était au courant et suivait les parties sur des
écrans géants ou autres partout.
Ils ont envoyé trois de leurs meilleurs champions dans notre
compartiment pour la défier.

Mais les échecs ce n'est pas que le jeu, il faut aussi ruser.
Shahrzad savait que ces ET étaient des milliers, que dis-je peut être
des millions de fois plus intelligents qu'elle.
Alors elle a cherché leurs faiblesses.
Facile.
Ils avaient beau être monstrueusement intelligents, c'étaient des
gamins.

Le premier elle l'a eu par le vice.
Des coups déroutants, tordus au possible, des bluffs.
Elle lui a foutu la pâtée.

Mais le second avait appris du premier.
Shahrzad était mal. Elle allait perdre.
Alors je suis venu à son aide.
J'ai allumé un Thyrrénéo originale.
En quelques secondes nos ET ont failli mourir d'asphyxie.
Un arbitre est venu se plaindre.
Les Et nous ont accusé de tricher.
J'ai été expulsé du compartiment avec interdiction de fumer sur leur
planète.
Quels mauvais joueurs!
Bon, Shahrzad a tout de même gagné son ET diminué.
Toute la planète a sifflé contre moi.

Troisième partie, pauvre Shahrzad, elle n'a pas fait un pli.
Les Et avaient gardé leur meilleur joueur en réserve.
Il observait ses coups dans le secret.
Elle a voulu partir dans un bluff, l'autre n'est pas tombé dans le
piège.

Pas grave, 2 contre 1 , la Terre gagne.
Ces gamins ET avaient les boules.

Mais Shahrzad est si belle.
Elle leur a fait des bises sur leurs cranes difformes.
Ils étaient ravis.

Ils nous ont renvoyé sur terre.
Détourner un train pour jouer aux échecs!
Seuls de vrais gamins peuvent le faire !


Le train roule toujours, si paisible.
Le jour se lève.
J'ai très bien dormi.
Je suis incroyablement calme et détendue.

Tiens des fleurs sur la petite table du compartiment.
Un petit mot.
Ce sont les ET qui me remercient pour avoir accepté de jouer avec eux.
Ils sont charmants.

En fait ils ont eu l'élégance de me laisser gagner.
Je n'ai aucun doute sur le fait que je ne pouvais que perdre, s'ils
avaient joué vraiment les parties.

Cela fait longtemps que je les connais ces ET qui ont gardé des âmes
d'enfants.
Ils se déplacent dans des bulles transparentes....

Le soleil se lève aux dessus de la grande plaine endormie.
Des oiseaux suivent le train.
Nous longeons un fleuve aux eaux vertes.

C'est si doux, si calme.

<>
Shahrzad est là, assise à coté de moi.
Elle est complètement Shahrzad.
Celle dont les ET sont fous amoureux.
C'est vraiment une grande star intergallactique.
Sur terre les humains n'ont aucune idée de sa célébrité.
Pas plus d'ailleurs qu'ils ne connaissent le dixième de ses histoires.

<>
Je me réveille à mon tour. Je ne me souviens de rien, sauf d'un
immense bien être.
Je regarde ma montre: midi.
Mais où est donc ma pipe?
ah, la voilà, c'est toujours ainsi que je me réveille, en fumant
paisiblement.

Tiens des corbeilles de fleurs sur la table et une feuille de gélatine
translucide.
Je me lève et j'aperçois au moins une centaine de bulles de nos amis
ET qui flottent au dessus du lac.
Je touche la feuille et surprise, les images de l'histoire écrite la
veille par Sharzad apparaissent en 3D.

Les Et disent:
-Cela vous plait?
-oui, c'est charmant, mais où est Shahrzad.
-Dans la salle de bain, elle a dit qu'elle voulait nous faire une
surprise.

Je leur fais un signe de la main et je rallume ma pipe.
-Vous êtes fou ! Cancer, toux, fumer tue, ...
Ma parole on croirait lire ce qui est écrit sur les paquets de tabac.

Alors, pour me marrer, je sors un Thyrrénéo originale et je leur
montre, un peu comme un doigt d'honneur.
-Ouh, tricheur, ouh, ...
j'allais répondre en débitant les 200 insultes du capitaine haddock,
juste pour leur donner du vocabulaire, mais je ne sais pourquoi je
dis:
-J'aime beaucoup rire.
-Nous aussi.

A ce moment la princesse est sorti de la salle de bain.
Ma pipe, les alumettes et le Thyrrénéo sont tombé par terre.
-Ouuuuaaahhhh ont fait les Et en coeur.

Somptueuse, sublime Shahrzad !
Rien que pour faire plaisir à ses fans inter-galactiques, elle s'est
maquillée et vêtue en bombe sexuelle.
Une ultra mini, ultra moulante, des bas résille, un rouge à lèvre
provocant.
Diable qu'elle est belle avec ses yeux diamant noir, étincelants.

J'en ai le souffle coupé.
les ET sont fous de joie.
Ils font les fous dans leurs bulles au dessus du lac.

Elle me prend par la main, nous baissons la vitre et nous les saluons
gaiement.
Puis elle prend son ardoise magique et y dépose un gros smack au rouge
à lèvre.
A mon avis, elle a du faire exploser tous les centres de transmission
de leur planète lointaine.

Il faut si peu de chose pour rendre ces ET heureux.

Nous les saluons une dernière fois et nous allons dinner.
Je meurs de faim....


Voilà, après la raclée que m'a infligée Théano, aux échecs, je suis allée prendre
une douche et remettre mes vêtements habituels.
Je m'habille comme un garçon de Baghdad. C'est bien plus confortable.
Je préfère les pantalons en toile ample à cette tenue ridicule de ce
matin que les hommes nomment "sexy".

Mais j'ai fait cela pour ces charmants ET.

Je les connais depuis fort longtemps.

Un jour, ils ont débarqué sur le balcon de mon palais et se sont
excusés de la frayeur qu'il venaient de me causer puis m'ont dit:

-Princesse Shahrzad, voulez-vous nous apprendre l'imaginaire, nous en
manquons tellement. Nous avons cherché partout et vous semblez être la
meilleure. Nous maitrisons bien des sciences, d'innombrables
technologies, mais nous sommes si pauvres en rêves. Aidez nous
Princesse!

Comment pouvais-je leur refuser une chose que de toute façon j'adore
faire.

C'est ainsi que je suis devenue leur, comment dire, un peu leur
institutrice, si vous voulez. Ils n'ont pas beaucoup d'imaginaire mais
ce sont bien des enfants pourtant. Des enfants à l'intelligence
extraordinaire, mais uniquement tournée sur les choses réelles,
observables, quantifiables.

Alors, comme ils ne comprennent pas toujours, je suis obligée
d'illustrer un peu.

Les images 3 D sur leur feuille de gélatine sont en fait de véritables
petites scènes en miniature.
Tout y est: décors et personnages. C'est un peu comme une copie qu'ils
me retournent et je corrige.

Qu'est ce qui est sexy?
Comme ils n'ont plus ni sexe ni sexualité ces ET, comment leur
expliquer.

Mais en mini moulante, je me suis trouvée bien plus moche que sexy.
Je crois qu'ils ont du se tromper d'institutrice.


Ivano Ghirardini Mars 2009

Je fais un voyage en arrière, une sorte de retour sur images mentales, juste pour essayer de comprendre la façon dont Shahrzad a joué avec moi. Elle n'est pas apparue en étant vraiment elle au début, mais sous formes de leurres. Par jeu ? Non, je crois que c'était pour m'initier en douceur à la maitrise de la scz.